lundi 12 novembre 2012

Drasha de Raphael V. en francais


La Paracha de Vayera

Shabbat Shalom. Merci à tous d’être là aujourd’hui et de partager cette merveilleuse occasion avec moi.

La Paracha de Vayera nous raconte trois des plus importantes histories de la tradition juive : le récit d’Abraham et de Sarah luttant pour avoir un enfant avant que Sarah ne donne naissance à Isaac, le sacrifice d’Isaac et Sodome et Gomorrhe.  Chacune de ces histoires est non seulement un icône en soi, mais représente aussi les problématiques éthiques les plus complexes de notre tradition, suscitant des questions difficiles à comprendre et dont il n’est pas aisé de donner des réponses.

Je parlerai aujourd’hui des sections 1, 5 et 7 de la Paracha Vayera qui sont celles que j’ai lues et chantées à la synagogue.  Dans la première section, Sarah et Abraham tentent désespérément de concevoir un enfant mais ne le peuvent pas, à cause de leur vieil âge.

Sarah permet à Abraham d’”utiliser” Agar, sa servante égyptienne, comme concubine, avec la promesse que si Agar donne naissance à un enfant, alors Abraham et Sarah l’élèveront comme le leur.  Agar donne naissance à un garçon, et Abraham le nomme « Ishmaël », ou « Dieu écoute » en hébreu.

Quelques années plus tard, Ishmaël devenu jeune homme, les anges descendent et annoncent à Abraham qu’il aura un autre fils, cette fois avec Sarah.  Sarah éclate de rire à cette nouvelle saugrenue, car elle est bien trop âgée pour concevoir.  Mais, effectivement, elle donne naissance à un fils. Ils l’appellent Isaac, « Ytzkhak », qui signifie « il rira ») en hébreu.

Sarah développe une antipathie envers Ishmaël, pas uniquement parce qu’il n’est pas son fils, mais aussi parce qu’elle le surprend à plusieurs reprises se moquer d’Isaac. Sarah dit à Abraham : « Chasse cette femme et son fils, il n’héritera pas aux côtés d’Isaac. »  Abraham hésite. Après tout, Ishmaël est aussi son fils.  Il pense que sa femme exagère, mais Dieu insiste et indique que même si Ishmaël est banni, il deviendra quand même le père d’une grande nation.

Dans la cinquième Alyah, Abraham se réveille un matin tôt. Il donne du pain et de l’eau à Agar. Il l’envoie avec son fils dans le désert, comme le lui avait enjoint Sarah.  Naturellement, ils sont vite assoiffés, sans nourriture, et se retrouvent abandonnés sous le soleil et la chaleur.  Ils errent jusqu’à ce qu’ils voient un buisson.  Agar met son fils à l’ombre pour le protéger du soleil.  A ce moment-là, un ange descend et dit à Agar de ne pas avoir peur : Ishmaël sera bien le père d’une grande nation, quoiqu’il arrive.  L’ange lui dit d’ouvrir les yeux et elle voit un puits.  Elle remplit sa gourde et donne à boire à son fils.  Il est dit qu’Ishmaël devint l’un des fondateurs de la nation arabe.  Il est bien devenu, comme Dieu l’avait promis, le père d’une grande nation. 

Dans la septième Alyah, développée longuement, Dieu ordonne à Abraham d’emmener Isaac en haut d’une montagne, et de le sacrifier comme offrande.  Abraham lui obéit sans hésitation. Il prend du bois, de quoi allumer un feu, un couteau et bien sûr son fils Isaac.  Tous deux montent en haut d’une montagne, Abraham construit un autel et attache Isaac.  Alors qu’il s’apprête à trancher la gorge de son fils, un ange l’appelle.  L’ange crie : “Arrête ! Arrête !  Dieu a testé ta foi jusqu’à ses limites, et tu as montré que tu étais prêt à sacrifier ton propre fils par obéissance à Dieu ».  Immédiatement après, Abraham aperçoit un bélier piégé dans un fourré.  Il le saisit, le place sur l’autel et le sacrifie à la place de son fils. Il est clair que Dieu déteste les sacrifices humains, monnaie courante à l’époque, mais tolère le sacrifice d’animaux.

Dieu dit à Abraham qu’Isaac sera le père d’une grande nation et, à travers lui, toutes les nations de la Terre seront bénies.  Quelques années plus tard, Abraham meurt.  Ishmaël et Isaac se réunissent à son enterrement de façon confraternelle, malgré leur rivalité.

Ceci m’amène au premier thème de ma Paracha : la tolérance ou “Souvlanout » en hébreu.  Abraham a fait preuve de tolérance en permettant à Agar de rester dans son foyer, bien qu’elle se moquait de Sarah.  Isaac a été tolérant vis-à-vis d’Ishmaël en se moquant de lui.  En revanche, Sarah a été intolérante : elle s’est vengée en demandant à Abraham d’expulser Agar et Ishmaël du foyer.  La Paracha suggère que l’instinct de Sarah était le bon : qui sait, s’ils n’avaient pas quitté la maison, peut-être la famille d’Abraham aurait-elle éclaté...  Ceci montre qu’il n’y a pas de règle : tolérer ou réagir.  La question est toujours : quelle est la bonne décision dans une situation donnée : la tolérance comme Abraham ou Isaac ? Ou la vengeance comme Sarah ?

Nous trouvons de multiples exemples de tolérance dans notre vie quotidienne.  Par exemple, l’été dernier, les Jeux Paralympiques se sont tenus à Londres.  Ils ont été les Jeux les plus branchés depuis leur (re)création en 1948.  Alors que les handicaps étaient dissimulés par le passé, aujourd’hui la différence est célébrée, et les personnes souffrant d’un handicap sont félicités pour ce qu’ils accomplissent.  Partout dans le monde, l’on voit une lutte constante pour l’égalité des sexes, des races et des religions.  Par exemple, l’organisation que je soutiens pour ma Bar Mitzva, l’African Refugee Development Centre (ARDC), ici à Tel Aviv.  L’ARDC est une organisation non gouvernementale qui aide les réfugiés politiques, la plupart venus d’Afrique sub-saharienne, de trouver refuge en Israël.  Ce sont des personnes qui ont subi des violences ces derniers mois ici en Israël.  Le statut de réfugié leur est presque systématiquement refusé alors que, selon l’agence des Nations Unies pour les Réfugiés (l’UNRWA), 90% d’entre eux qui franchissent la frontière pour se rendre en Israël remplissent les critères de ce que constitue un réfugié en droit international.  Israël est l’une des démocraties occidentales qui accueille le moins de réfugiés. Donc, ils restent vivre ici sans réel statut légal ni droits.  L’ARDC les aide à trouver des emplois, donne des cours à leurs enfants, et de l’assistance médicale et psychologique.  En bref, se battre pour que ce coin de la planète soit plus tolérant.

Cependant, autant il existe beaucoup d’exemples de tolérance, autant il en existe aussi, sinon plus, d’intolérance.  Les préjugés raciaux, le sexisme et la discrimination contre les handicapés en sont des illustrations. Nous avons peur de l’inconnu, de celui qui est différent.  Il y a 400 ans, Galilée a été emprisonné pour hérésie pour avoir prouvé que la Terre tournait autour du Soleil, et non l’inverse.  Pensez à l’apartheid en Afrique du Sud.  Regardez la violence faite contre les réfugiés africains en Israël.  Pensez au peuple palestinien qui subit l’occupation israélienne.

La façon avec laquelle Isaac et Ishmaël se sont (ré)unis à l’enterrement d’Abraham nous offre une vision comment les Juifs et les Arabes pourraient, et devraient, vivre ensemble un jour en Israël, et osons espérer que ce le soit un jour malgré leur rivalité traditionnelle.

Le thème suivant est celui de l’obéissance.  Lorsque Sarah demande qu’Agar et Ishmaël soient expulsés, elle donne une image d’elle-même négative au lecteur.  Après tout, elle a promis à Dieu qu’elle s’occuperait d’Ishmaël comme son propre fils.  Comment peut-elle alors l’envoyer mourir de faim et de soif dans le désert ?

Abraham écoute Sarah lorsqu’elle lui demande précisément d’envoyer Agar et Ishmaël dans le désert.  Puis, plus tard, il accepte la demande de Dieu de sacrifier Isaac, son propre fils, uniquement pour démontrer sa foi en Dieu.  Il semble souffrir d’une obéissance aveugle.  Parfois, obéir aux ordres n’est pas la bonne approche.

Nous sommes confrontés régulièrement dans notre vie quotidienne à la question de l’obéissance aveugle.  Il est instinctivement naturel cependant d’avoir des dilemmes.  Réfléchissez une seconde : quand Abraham a emmené Isaac au sommet de la montagne, Isaac a-t-il réellement cru son père qui lui disait qu’ils allaient sacrifier un bélier ? C’était la première fois qu’Abraham traînait son fils pour assister à un sacrifice sur un bûcher.  Pourquoi le jeune Isaac, fervent de théories du complot comme les enfants peuvent l’être, n’a-t-il pas compris que c’était plus qu’une coïncidence, et pourquoi n’a-t-il pas pris les jambes à son cou ? Avec son corps jeune et vif, il aurait pu dévaler la montagne bien plus vite que son père centenaire.  Il aurait pu. Malheureusement, lui aussi a été victime de l’obéissance aveugle.  Abraham ne savait pas que Dieu le testait, et Isaac avait trop peur de désobéir à son dévoué père.  Ils ont tous fermé les yeux à leurs destins, et il a fallu que Dieu intervienne pour sauver la vie d’un enfant et la conscience coupable d’un homme.

Mais la vraie question est : pourquoi Dieu a-t-il concocté ce casse-tête à l’origine ? Etait-ce son idée du jeu, s’amuser avec les consciences des gens comme si elles étaient des jouets ? Selon moi, il l’a fait pour la même motivation que celle qui anime les criminels ou ceux qui se droguent.  Peut-être Dieu s’ennuyait-il un peu, assis sur ses nuages, avec personne avec qui taper la causette, à l’exception des anges.  Mais, heureusement, il s’est rattrapé juste au moment où Abraham approchait son couteau de la gorge d’Isaac.  Nous pouvons même tirer une leçon importante de cette histoire, et à la fin, personne n’a été blessé.  Sauf que je n’aurais pas voulu être à leur table pendant le diner qui aura suivi cette journée épique !
Cette Parasha donne une mauvaise image de Sarah.  Elle est décrite comme rigide, égoïste et méchante.  Pourtant, avec le recul, on réalise qu’elle n’était pas si irrationnelle que cela.  Elle a eu raison de se révolter contre son mari et sa servante.  Elle n’a pas voulu accepter et encaisser.  Elle a suivi son instinct de s’affirmer et de lutter. 

Pour Abraham, c’est tout le contraire.  Il a fait ce qu’on lui a demandé de faire, sans une seconde d’hésitation.  Il serait allé jusqu’à tuer son propre fils.  Cela ne reflète pas particulièrement bien sur lui.  Il est décrit comme un tyran, même si la seule erreur qu’il ait commise, c’était d’avoir agi conformément aux ordres.  Mais, comme je l’ai déjà rappelé, ceci n’est pas nécessairement le bon comportement à adopter. 

Dans ce contexte, Abraham et Sarah sont aux antipodes l’un de l’autre.  Abraham est comme Agnan dans le Petit Nicolas, le premier de la classe qui fait ce qu’on lui dit sans même y penser.  Sarah est l’activiste rebelle qui se révolte sans cesse pour rendre les choses comme elle veut qu’elles soient.  Et, coincé entre les deux, Isaac représente l’innocent et l’on ne sait pas très bien ce qui lui traverse l’esprit.

Le judaïsme tourne beaucoup autour de l’obéissance.  On se donne des cadeaux à Hanoucca.  Pourquoi célèbre-t-on l’anniversaire d’une petite lampe à huile qui a duré huit jours ? Les ampoules de nos jours durent des mois et l’on ne s’en réjouit pas pour autant.  Pourquoi ne peut-on pas manger des poissons qui n’ont pas d’écailles visibles à l’œil nu ? Quelle est la logique derrière cette règle ? Qu’est-ce que cela change en pratique ? Les poissons avec de vraies écailles sont-ils meilleurs ? Ceux qui n’en ont pas sont-ils empoisonnés ? Est-ce seulement parce que les rabbins n’avaient pas des verres assez forts pour identifier ces écailles microscopiques ?

Pour vous dire la vérité, je n’en sais rien. 

On ne trouve pas ce type de dilemmes uniquement dans la Bible, mais aussi dans notre vie de tous les jours.  Pensez à Martin Luther King aux Etats-Unis dans les années 60, affirmant ses droits et assassiné pour avoir mené son combat contre l’injustice.  Et ce n’est pas seulement les combattants de la liberté comme lui qui doivent réfléchir sur ces sujets.  Pour ceux qui ne le savent pas, je fais de la voile chaque samedi sur la Seine.  Voici une analogie nautique : il est fréquent d’être sur un bateau et le skipper donne un ordre. L’équipage l’exécute sans y penser à deux fois, même si l’ordre donné est une mauvaise idée.  Contre qui se retourner si la situation en mer empire ? Le skipper ou l’équipage ? Je pense que l’objectif de cette Paracha est, pour chacun de nous, de se souvenir qu’au cours de notre vie, nous serons confrontés à des situations où nous devrons réfléchir, plutôt que d’obéir et se comporter d’une façon conformiste.  Parfois, il faut avoir le courage de désobéir.  Nous devons avoir le recul de ne pas tolérer l’intolérance. Cela peut être dur, comme le découvrent Abraham et Sarah, mais ceci est notre devoir pour tenir tête à notre conscience, comme juifs et comme être humains.

Quelle épopée de venir de France jusqu’ici.  Nous avons découvert qu’organiser tout de l’étranger n’est certainement pas la voie facile.  Je pense que ma mère et mon père ont peut-être parfois regretté d’avoir pris cette folle décision.  Mais maintenant, nous sommes là. Cela valait vraiment le coup de passer quelques nuits bien courtes.  

J’ai tant de personnes à remercier.  Mon papa Cyril pour s’être assis avec moi, presque chaque matin, pour se plonger ensemble dans la Paracha.  Je voudrais remercier ma Mummy pour son œil expert sur le texte et, bien au-delà de cela, pour avoir tout organisé.  Sans elle, nous ne serions pas là aujourd’hui.

Mes frères Ido et Albie pour être tant à mes côtés que je ne peux les oublier ! Oma et Opa pour leur amour à chaque instant, leur générosité et leur dévouement à leur famille et à la vie juive.  C’est dommage que mon autre grand-mère, Nanny, ne puisse être là mais je pense bien à elle.  Je me souviens avec émotion et amour de Pop, mon autre grand-père, qui nous a quittés en 2006. Il aurait été si heureux et fier de nous voir tous réunis aujourd’hui. 

Je suis immensément reconnaissant à Monsieur le Rabbin Roberto Arbib et à la communauté Neve Shechter de m’avoir, ainsi que ma famille, accueilli si chaleureusement ce Shabbat.  Je remercie aussi notre synagogue Neve Shalom à St Germain en Laye et au rabbin Floriane Chinsky pour m’avoir aidé à préparer ce grand jour et fourni des commentaires précieux pour cette Dracha. 

Surtout, je voudrais remercier chacun d’entre vous pour avoir fait le voyage jusqu’à Tel Aviv et rendre ce jour si particulier. Certains habitent au coin de la rue, dans d’autres régions d’Israël (Jérusalem, Haifa, Modi’in, Meitar). Mais beaucoup ont pris l’avion de Londres, Paris, Cracovie, Rome.  Et Caxipoon Daniel Vock est même venu de New York ! Rien n’aurait été pareil sans vous. Je suis si heureux de vous voir tous devant moi. 

Shabbat Shalom à tous!

Raphaël V.
3 novembre 2012

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