vendredi 28 février 2014

Vêtements du grand prêtre, Vêtements juifs d’aujourd’hui: un message de responsabilité

Compte tenu des débats d’actualité, et en particulier du débat sur le « genre », je voudrais commencer par soulever une question :
Se vêtir, un besoin fondamental pour soi et pour autrui
Savez-vous qui a créé la pyramide de Maslow ?
C’est en réalité Virginia Henderson qui a travaillé sur les besoins fondamentaux de l’être humain, sur les fonctions vitales que les soins infirmiers devaient réhabiliter pour permettre aux patients de revenir à une vie « normale ».


Elle a été, après Florence Nightingale, une des fondatrices de la pensée infirmière. Maslow a poursuivi son travail, et ce sont leurs successeurs qui ont réalisé la célèbre pyramide.
Voici les sept premiers besoins exprimés par Virginia Henderson (il y en a 14) :
Respirer, se nourrir, conserver son corps à une température de fonctionnement, éliminer, se mouvoir, dormir et se vêtir.
Tous ces besoins, ainsi que ceux qui les suivent, sont encadrés par notre tradition qui accompagne la satisfaction de tous ces besoins, tous ceux qui font de nous des êtres humains.
Nous aurons l’occasion de parler de cela demain matin pendant l’office, lorsque nous prononcerons les « birkot hashaHar », les bénédictions du matin.
Pour l’instant, portons notre attention sur le septième besoin : celui de se vêtir. 
Tous les matins, nous disons « Béni-sois-tu Eternel notre Dieu, roi du monde, qui habille ceux qui sont nus. »
Ces paroles soulèvent une question. Dieu habille-t-il ceux qui sont nus ? Quel est la réelle influence du Créateur dans le monde ? Nous savons bien que malheureusement, beaucoup d’êtres humains sont démunis. Nous espérons être en mesure de faire approcher ce que nous appelons les « temps messianiques », le moment où tous les êtres humains verront leurs besoins vitaux satisfaits.
Faisons un pas de plus dans la tradition.
Quand prononçons-nous cette bénédiction ? Au moment où nous nous habillons. Nous considérons en réalité que la chance de pouvoir satisfaire à ce besoin est une bénédiction divine. Lorsque nous nous habillons, nous considérons qu’à un certain niveau, c’est l’Eternel qui nous habille. De même, nous devons partager ce privilège et aider ceux qui ne sont pas en mesure de s’habiller eux-mêmes.
La Torah nous raconte qu’au moment de l’exil d’Adam et Eve du jardin d’Eden, il leur a lui-même fabriqué des vêtements. Dieu était le premier tailleur, ce qui explique peut-être la réussite tant des juifs séfarades du sentier que des juifs aschkénazes investis dans le schmates…
Le Talmud insiste sur le fait que ce faisant, le Créateur nous a montré le chemin de la guemilout Hassadim,  גמילות חסדים la générosité et l’entre-aide. 
Le vêtement spirituel
Cette entre-aide est à la fois concrète et émotionnelle.
Nous venons de chanter ce soir LeHa Dodi. Nous disons : lo tevochi velo tikalmi livchi bigdé tifarteH ami, לא תבושי ולא תכלמי, מה תשתוחחי ומה תהמי, בך יחסו עניי עמי.
« N’aies plus honte, ne sois plus maltraitée, habille-toi des vêtements de ta splendeur, mon peuple. »
Tel est le message que les sages de Tsfat ont voulu lier à la kabalat chabbat au 16 siècle, la belle image qu’ils sont allés chercher dans le prophète Isaïe (Isaïe 52 :1עורי עורי לבשי עזך ציון לבשי בגדי תפארתך ירושלם)

Le vêtement nous ramène à notre condition de chair et de sang. Lorsque nous sommes accablés et en deuil, c’est le silice qui  nous habille. A yom kipour, nous portons le Kitel, ce vêtement blanc confectionné à notre intention à la mort de nos parents, qui sera notre dernier habit. 
A l’approche de Pourim, nous pensons particulièrement aux vêtements évoqués dans la méguila d’Esther. Le refus de la nudité de Vashti, la simplicité des vêtements d’Esther lorsqu’elle participe au concours de beauté organisé par le roi, l’humilité des tuniques de silice de Mardochée et du peuple qui jeûne pour sa survie, la gloire des vêtements royaux portés par un Mardochée triomphant. La signification du vêtement alterne sans cesse entre une portée spirituelle et une portée sociale.
Le vêtement, une trahison ?
Mais le vêtement est-il toujours une occasion de pudeur et de sincérité, une façon de se positionner avec bienveillance vis-à-vis du monde et de soi-même ?
Comme le dit le célèbre proverbe juif : l’habit ne fait pas le moine.
Il faut parfois se méfier des vêtements extérieurs.

Tout a l’air simple dans le vêtement.
Alors que la première lettre de l’alphabet hébraïque le aleph, symbolise l’unité de dieu, les deuxièmes, troisième et quatrième, dans cet ordre exactement, forment le mot bégued, vêtement.

Mais la simplicité excessive est souvent un leurre. C’est ce que nous enseigne la sagesse hébraïque lorsqu’elle fait de la racine [beth / guimel / dalet] la racine du verbe « trahir ». 
L’équilibre entre la pudeur et la transparence n’est pas facile à trouver. 
Ainsi, on ne sait pas si Gad, le fils de Zilpa a été nommé ainsi pour lui porter chance (en fonction du signe du gdi), parce qu’il est né circoncis (de même que la racine gdoud est une subdivision) ou parce que Léa a éprouvé du ressentiment vis-à-vis de Jacob, qui l’aurait trahie en faisant un enfant à sa servante.
Le vêtement du grand-prêtre, un message et une fonction
Notre paracha détaille les vêtements qui seront ceux des prêtres en général, et ceux du grand prêtre en particulier.
Le but des vêtements est de « lékadcho lakahano li », de le sanctifier pour qu’il puisse servir Dieu. 
Chaque vêtement a sa spécificité et sa fonction. La chemise, le manteau et le tablier sont superposés, donnant ainsi une certaine majesté au grand prêtre. Au-delà de la tiare et de la ceinture, trois éléments sont particulièrement remarquables. Les épaulières et le pectoral sont marqués des noms des douze tribus d’Israël. Le fronteau porte l’inscription : « sanctifié pour l’Eternel ». Le grand prêtre est ainsi à la jonction de la relation entre Dieu et le peuple.
Il existe de nombreux uniformes et de nombreuses fonctions. Rentrer dans l’habit qui correspond à son diplôme ne se fait jamais de façon automatique, que l’on soit juge, avocat, policier, personnalité politique ou Rabbin. Mais les conceptions psychiques s’ajustent progressivement au rôle que l’on doit remplir. On ne peut pas devenir grand-prêtre « à l’intérieur » si on ne prend pas le temps d’en revêtir les accessoires. 
Nos vêtements et nos fonctions
Lorsque la poétesse affirme : « mes plumes, je les ai dans la tête, et puis j’ai des paillettes, pour m’habiller le cœur », elle exprime combien l’habillage intérieur est important. Ainsi, le chéma israel nous enjoint de mettre ces paroles, des paroles d’étude, de respect et de bonté, sur nos fronts, face à notre cœur, et sur nos bras. 
Nos sentiments, nos pensées et nos actions doivent « s’habiller » de nos valeurs.
Grace à la Torah orale, nous savons que ces « habits d’éthique » sont portés par des accessoires concrets, les téfilines.
Alors que le grand-prêtre devait porter sur son front « consacré à l’Eternel », nous devons y mettre chaque matin des boîtiers contenant le chéma Israël. Le grand prêtre portait face à son cœur un pectoral de jugement, et le nom des enfants d’Israël. Nous portons les téfilines sur notre cœur.
Nous nous enveloppons du Tallit.
Ces vêtements nous sont accessibles après notre Bar/Bat Mitsva, après un processus d’apprentissage et de préparation à la responsabilité.
Les vêtements du judaïsme, les vêtements du chabbat
Cela nous amène à rappeler la demande divine exprimée dans la paracha des dix commandements, la paracha de Ytro : וְאַתֶּם תִּהְיוּ-לִי מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים, וְגוֹי קָדוֹשׁ, et vous serez pour moi un royaume de prêtre et un peuple saint.
Nous apprenons le sens de nos responsabilités en observant la façon dont on nous « habille » physiquement et moralement. Nous voulons habiller nos enfants d’audace, de générosité et de solidarité, nous leur disons qu’ils sont audacieux, généreux et solidaires. Lorsque des parents ont une mauvaise image de leur enfant, les enfants absorbent cette image et tendront à s’y conformer. 
Autrefois, nous avons habillés nos prêtres et nos grands prêtres de vêtements extérieurs et de comportements qui leur rappelaient leurs responsabilités.
Aujourd’hui, nous nous habillons de tallit et de téfilines, et nous nous racontons à nous même que nous sommes un peuple qui peut faire une différence dans le monde. Nous nous habillons de responsabilité. Nous nous habillons nous-mêmes et nous habillons les autres. Nos vêtements de corps, portés ce soir en l’honneur du chabbat, et de cœur, tissés au fils des chants et des prières nous invitent au repos du chabbat, aujourd’hui, et à l’action de la semaine, demain. 

Rabbin Floriane Chinsky

Neve Shalom – Communauté Massorti des Yvelines
St Germain en Laye
Février 2014

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